Les prescriptions du Dr Muller
Rue sans issue et coucher de soleil sur Waterloo
Il y a une fissure au plafond
Et le robinet de la cuisine fuit
Pas de travail et pas d'argent
Un dimanche de pain et de miel
Pourquoi vivons nous ?
Un appartement de deux pièces au second étage
Et pas d'argent qui rentre
L'encaisseur de loyers qui frappe et tente de rentrer
Nous somme littéralement des citoyens de seconde classe
Nous ne comprenons pas pourquoi nous somme dans cette impasse
Les gens vivent dans une rue sans issue
Ils mourront dans une rue sans issue
Extrait de "Dead End Street", The Kinks, 1966
Dead End Street
Les Kinks sont l'un des groupes majeurs du Beat Boom des années 60 avec les Beatles, les Rolling Stones et les Who. Ils ont une grande influence sur les groupes des années 70 comme les Jam, les Pretenders (Ray Davies a été marié avec Chrissie Hynde), des années 90 comme Blur, Oasis, Supergrass et bien d'autres. Ce qui fait la spécificité des Kinks, c'est d'abord que par la plume de Ray Davies, ils sont les commentateurs de l'évolution de la société anglaise bien plus que ne l'ont été les autres groupes de la période dorée des sixties.
Peut-être est-ce du au fait que les frères Ray et Dave Davies, fondateurs du groupe viennent du prolétariat anglais et qu'ils ont grandi dans les quartiers pauvres et insalubres de Muswell Hill ? En tout cas c'est ce que l'on retrouve dans "Dead End Street" citée en exergue de cet article où il est fait état de la misère et de la pauvreté de ces gens coincés dans une situation sans issue.
Shel Tamy
Mais revenons un peu sur le passé du groupe. Tout commence en 1962 avec les premières formations où figurent les frères Davies dont le Ray Davis Quartet où un certain Rod Stewart fit une apparition comme chanteur. Outre les frères Davis, il y a dès l'origine Pete Quaife à la basse et divers batteurs qui se succèdent jusqu'à l'arrivée de Mick Avory. C'est la rencontre avec Shel Talmy, un producteur, qui va s'avérer déterminante. Celui-ci hérite d'une bande de démonstration du groupe qui retient son attention. Il leur procure un contrat avec Pye Records. Le premier enregistrement du groupe est une version de Long Tall Sally de Little Richard. Las, les Beatles ont aussi enregistré leur version et celle-ci marche tellement bien qu'elle éclipse celle des Kinks. Malgré les efforts de leur manager Larry Page, le groupe ne parvient pas à percer pas plus que leur second 45 T "You Still Want Me". Le troisième par contre...You really got me
Le troisième single, c'est "You Really Got Me" qui est n°1 en Angleterre et n°10 aux USA. Un carton. On a dit, avec raison semble t'il, que "You Really Got Me" est le premier morceau de Hard Rock : rythme plombé, guitare saturée, vocaux énervés, répétition du thème jusqu'à saturation. Le quatrième single "All Day And All Of The Night" casse aussi la baraque : n°2 en Angleterre, n°7 aux USA. Et déjà pointent les prémisses de l'ironie davisienne : "Je t'aimerai toute la nuit, si je peux..."
You really got me
Tout s'enchaîne rapidement : en deux ans le groupe enregistre deux albums, une flopée de singles et tourne intensément. Ce qui n'est pas sans créer des tensions qui se manifestent par des bagarres entre les membres du groupe sur scène. Au théâtre Capitol de Cardiff, Whales, en 1965, le batteur Mick Avory agresse Dave Davies avec une pédale de sa batterie. Il déclarera plus tard que cela faisait partie du jeu de scène du groupe...
Interdits de scène aux USA
Toujours en 1965, le groupe se voit interdit de scène aux USA, certainement à cause de leur réputation de bagarreurs. Il ne pourra y retourner qu'en 1969. C'est aussi à partir de 1965 que la musique des Kinks change, qu'elle évolue d'un rock à forte influence blues-rock (Chuck Berry, Bo Diddley, Muddy Waters) à une musique plus élaborée avec des paroles subtiles qui sont un commentaire de la société anglaise de l'époque. Comme par exemple David Watts (repris par les Jam) où Ray Davies fait le portrait d'un homme quelconque qui ne voit pas la différence entre le champagne et l'eau et qui aimerait tant être comme David Watts, le héros de tous les teen-agers. On peut encore citer "Well Respected Man", l'homme respectable, bien dans sa tête et son corps, si bien... Et pourquoi pas aussi "Dedicated Folowers Of Fashion", une attaque contre Carnaby Street et tous les dandys de pacotille de l'époque. C'est aussi la période où le groupe sort le magnifique Kontroversy suivi de Face To Face en 1967, l'époque où l'ironique "Sunny Afternoon" est le plus gros tube de l'été 1966.
Sunny Afternoon
Puis c'est "Waterloo Sunset" (1967), encore un succès pour le groupe qui enregistre ensuite Something Else By The Kinks, un disque qui marque l'adoption par les Kinks d'éléments de la musique de cabaret, de vaudeville, anglaise. Si le disque ne se vend pas très bien, ce n'est pas le cas du single de Dave Davies "Death Of A Clown". L'album suivant qui parait à l'automne 1968, The Kinks Are The Village Green Preservation Society, s'il apparaît aujourd'hui comme un classique du rock, passe quasiment inaperçu à l'époque. Il est vrai qu'à ce moment là, c'est le rock psychédélique qui règne en maître et que les Kinks ont fait le choix d'enregistrer des vignettes qui témoignent de la vie urbaine et des transformations qui affectent la vie de quartier de Muswell Hill. Citons "Picture Book", "Johnny Thunder", "People Take Pictures Of Each Other", "Last Of The Steam Powered Train". Il est vrai qu'à l'époque de "Lucy In The Sky With Diamonds" parler des derniers trains à vapeur...
Waterloo Sunset
1969 est l'année où Pete Quaife quitte le groupe et est remplacé par John Dalton, c'est aussi la parution de Arthur (Or The Decline And Fall Of The British Empire). Le disque à l'origine devait constituer la bande originale d'un téléfilm produit par la télévision anglaise. L'accueil du public fut tiède malgré de bonnes critiques et des titres comme "Victoria". L'album suivant Lola Versus Powerman And The Moneygoround, Part One (1970) permet aux Kinks de retrouver la faveur des hits avec l'histoire de "Lola" où il s'avère que Lola n'est pas celle que l'on croyait, un peu travesti en fait. Il y a aussi "Apemen" qui sera le dernier titre du groupe à atteindre le Top Ten.
En 1971, le contrat avec Pye est terminé, le groupe signe avec RCA et enregistre ce qui est considéré comme son dernier grand album : Muswell Hillbillies, très influencé par la Country Music et le cabaret, qui comporte des pépites telles que "20th Century Man", "Holiday" et le célèbre "Alcohol" où Davies raconte ses aventures avec le démon alcool "Gin, Scotch, Whisky On The Rocks, tout va bien, tous les problèmes disparaissent...". L'album suivant, Everybody's In Showbizz (1972) n'est pas mal du tout avec la peinture nostalgique des "Celluloïd Heroes",les stars hollywoodiennes qui ne meurent jamais vraiment ou encore "Supersonic Rocket Ship".
La suite voit le groupe connaître de nombreux changements de personnel autour des frères Davies jusqu'en 1996 où le groupe se sépare définitivement. Il est question d'une reformation mais rien de confirmé pour l'heure. Une petite anecdote pour terminer. Après un concert des Kinks, un des spectateurs s'approche de Ray Davies et lui dit "J'ai beaucoup aimé votre version de "You Really Got Me" de Van Halen". Les précurseurs du Hard Rock, non ?