Les prescriptions du Dr Muller
H.P. Lovecraft : le blanc navire aborde les rives psychédéliques
H.P. Lovecraft fût l'un des meilleurs groupes psychédéliques des années 60 : superbes harmonies vocales, rythmes élaborés, instrumentistes émérites
Wind'Open, monstre vert, mica, buvard, purple haze, c'était le nom que l'on donnait aux différentes formes de conditionnement du LSD. S'il est un groupe que l'on peut qualifier de psychédélique, c'est bien H.P Lovecraft, un groupe qui comme la Jimi Hendrix Expérience aurait pu demander à ses auditeurs : « Avez-vous tenté l'expérience ? »
Michaels et Edwards
Contrairement à ce que l'on pourrait penser H. P. Lovecraft n'est pas un groupe de San Francisco mais de Chicago et formé en 1967. Comme beaucoup de groupes de l'époque, les musiciens viennent du Folk (principalement le chanteur George Edwards) et, originalité, de la musique classique pour le pianiste/organiste Dave Michaels. Ce dernier a la particularité d'avoir une voix qui couvre quatre octaves. Tout débute avec l'enregistrement par Edwards d'une version du titre de Chip Taylor (compositeur de « Wild Thing » repris par les Troggs) « Anyway You Want Me » (enregistré aussi par les Troggs). C'est pendant les sessions d'enregistrement qu'Edwards est rejoint par Michaels. Le label sur lequel le titre doit sortir, Dunwich, est dirigé par deux fans de l'écrivain américain H. P. Lovecraft, Bill Traut et George Badonsky. Ce sont eux qui suggèrent à Michaels et Edwards d'adopter le nom de l'écrivain pour leur groupe après avoir obtenu l'autorisation des héritiers de Lovecraft.
The White Ship
Reste à trouver des musiciens pour compléter le groupe ce qui est fait après le recrutement du guitariste Tony Cavallari, du batteur Mike Tegza et plus tard de l'ex guitariste du groupe psyché-punk de Chicago les Shadows Of Knight, Jerry Mc George qui prend la place de bassiste. Le groupe enregistre alors son 1er album, un disque qui mêle harmonies vocales éthérées qui ne sont pas sans rappeler le Jefferson Airplane, influences folk d'Edwards, voix de chanteur d'opéra et orgue baroque, piano et clarinnette de Michaels. Le tout donne une musique hantée adaptée à la volonté du groupe de traduire en musique « les histoires macabres et poèmes d'une terre peuplée par une autre race » d'H. P. Lovecraft. La majorité de l'album est composée de reprises dont celles de l'hymne hippie de Dino Valenti « Get Together », d'un titre de Randy Newman peu connu alors, « I've Been Wrong Before », du folkeux Fred Neil « That's The Bag I'm In ». La pièce maitresse de l'album est le splendide « The White Ship », 6 minutes de sombres harmonies, d'orgue baroque, de feedback, de voix remarquablement placées et du son d'une cloche de navire de 1811.
The white ship
H. P. Lovecraft II
L'album ne bouleverse pas le hit parade mais devient un classique de l'underground et des radios branchées de l'époque. Le groupe ensuite s'embarque pour une tournée sur la côte Ouest fin 1967 et devient un des groupes favoris en concert des hippies de San Francisco et Los Angeles. Ce qui décide le groupe à s'installer à Marin County, Californie début 1968 mais le bassiste Jerry Mc George ne suit pas le mouvement. Il est remplacé par Jeffrey Boyan. Pendant cette période, H. P. Lovecraft enchaine les concerts et apparaît en première partie du Grateful Dead, de Jefferson Airplane, Moby Grape, Pink Floyd, trafic et les Who. Il faut dire qu'ils sont un des rares groupes à pouvoir reproduire leur son studio sophistiqué sur scène.
En juin 68 débute l'enregistrement de leur second album, H. P. Lovecraft II, un album largement composé dans le studio car du fait des tournées incessantes, le groupe n'a pas eu le temps de composer de nouveaux morceaux. On trouve dans ce disque un titre inspiré par l'écrivain éponyme : « At The Mountain Of Madness », longue pièce baroque que ne renierait pas le Pink Floyd première période, l'excellent « Spin, Spin, Spin » avec influences classiques, chœurs à tomber. Mais ce n'est pas vraiment le genre de musique qui touche la ménagère de moins de 50 ans et comme le 1er album, il ne se vend pas suffisamment pour se classer dans les charts.
La fin
Fin 68, Michaels quitte le groupe dont il est la cheville ouvrière. Début 69, Tegza s'en va aussi et rejoint Bangor Flying Circus. En 1969, Edwards et Tegza tentent de remettre le couvert avec Lovecraft mais peu après la formation de l'entité, Edwards s'en va. Cette formation enregistre Valley Of The Moon, un disque qui a plus à voir avec Crosby, Stills & Nash ou Huria Heep qu'avec la musique hantée d'H. P. Lovecraft. Il y aura même une version funky (!) du groupe menée par Tegza sous le nom de Love Craft en 1975 qui, bien sur, ne marche pas. Dépité, Tegza se serait tourné vers le fondamentalisme chrétien, comme quoi l'acide mène à tout...
Toujours est-il que l'écoute des deux premiers albums du groupe est fortement conseillée à tous les amateurs de musique sous influence lysergique, inventive, baroque avec de superbes harmonies.