Les prescriptions du Dr Muller
Garage Beat' 66 : Et les murs de la ville ont tremblé
Ils furent nombreux entre 1964 et 1967 à s'emparer qui d'une guitare, d'une batterie, d'une basse, d'un orgue, d'un micro. Leur but : avoir autant de fans féminines hystériques que les Beatles ou les Rolling Stones.
Mais, il y a loin de la coupe aux lèvres, la majorité de ces garages-bands ,ainsi nommés parce que la majorité d'entre eux a rarement franchi les portes du garage, des soirées privées et des bals de lycée de leur environnement immédiat, ont laissé à la postérité parfois un album ou deux, le plus souvent un ou deux singles.
Inflation de compilations
Au début des 70's plus personne ne se rappelle ou ne veut se rappeler de cet âge d'or comparable à la fin des 70's quant tout un chacun voulait former un groupe. Arrive Lenny Kaye et Nuggets et c'est la révélation. On ne nommera pas ici les divers combos qui au cours des décennies suivantes se sont employés à faire revivre cet âge d'or des Fleshtones en passant par les Fuzztones et autres Miracle Workers, Nomads, Chesterfield Kings, Barracudas... Toujours est-il que cet intérêt renouvelé va susciter la parution de nombreuses compilations (trop?) consacrées au genre. Les plus connues étant les Peebles ou Boulders qui vont au-delà de Nuggets. Parfois avec pertinence, le plus souvent sans apporter quelque chose de plus que ce qui existe déjà. Un phénomène d'exploitation de ce supposé filon. Si certaines séries, Back From The Grave par exemple, creusent le sillon très profond et remontent à la surface des gemmes insoupçonnés, la majorité se contente d'accumuler les groupes inconnus et qui méritent de le rester.
Sundazed Garage Beat' 66
En 2007, la maison de disque spécialisée sixties, Sundazed, publie une série de 7 cd consacrés au rock garage. Ces cd ne révolutionnent pas le genre dans la mesure où une grande partie des groupes qui y figurent ont déjà été publiés ailleurs. Cependant, on doit ajouter que le son est excellent et que les groupes choisis sont, dans leur majorité, bien meilleurs que les pâles imitateurs des Beatles, Stones, Animals, Yarbirds qui pullulent alors. L'iconographie est à la hauteur du projet ainsi que les notes de pochettes.
Volume 1 – Like What Me Worry
Le 1er volume de la série comporte 20 titres. On retiendra plus particulièrement de ce 1er opus les Fever Tree avec leur « I Can Beat Your Drum », 1er single de ce groupe de Houston Texas, enregistré en 1967. C'est l'un des rares groupes de la série à avoir enregistré 4 albums pendant une carrière qui s'est déroulée à San Francisco. « I Can Beat Your Drums » est un rock garage classique avec orgue Farfisa et voix menaçante tout à fait convaincant. Il est immédiatement suivi du « Hipsville 29 b.c (I Need Help) ». Et il est vrai que le chanteur des Sparkles,groupe texan qui a officié de 1962 à 1967, a vraiment l'air d'en avoir besoin (d'aide). On passe ensuite à Albuquerque où les Kreeg commettent en 1966 leur unique single : « Impressin », un bel effort folk-rock avec guitares carillonnantes à la Byrds, Beau Brummels qui vire Yarbirds à la fin du morceau. Quant aux Olivers de l'Indiana, ils nous font visiter « Beeker Street » en 1966, un titre noyé dans la distortion et le fuzz qui pourrait en remontrer aux initiateurs anglais dont ils s'inspirent clairement, ici les Yarbirds. On retiendra aussi de ce 1er volume Neal Ford & The Fanatics et leur « Shame On You », ses chœurs, son orgue et la voix de Neal Ford . Ce groupe texan a un album a son actif (1968) et pas moins de 13 singles enregistrés de 1965 à 1968. Le meilleur pour la fin : les Fe Fi Four Plus Two de New Mexico qui enregistrent en 1967 leur passeport pour la postérité : « I Wanna Come Back From The World Of LSD », un titre mid-tempo dominé par l'orgue et une guitare vibrante. « Je veux revenir à la réalité, au vrai monde, ouahhh ». Le plus amusant dans l'histoire est que le groupe a affirmé ensuite n'avoir jamais goûté aux plaisirs acides. Bon, on veut bien le croire...
Volume 2 – Chicks are for Kids
Le second opus de la série est celui qui comporte le plus de groupes « connus » des initiés avec le cinquième volume. On peut en retenir les Bold avec leur « Gotta Get Some » (1966). Ce groupe de Springfield, Massachusetts, veut en trouver, il ne dit pas quoi mais on l'imagine aisément. Autre combo remarquable de ce 2ème volume : les canadiens Guess Who dans un exercice typiquement garage ( 1966) « Believe Me ». Les Sonics, furieux prédécesseurs des Stooges et du MC5, font ici une apparition avec un titre bien en deçà de leur sauvagerie initiale, normal car enregistré en 1966 après leurs 2 premiers albums, les meilleurs. Les Remains figuraient déjà sur Nuggets avec leur « Don't Look Back ». Ils montrent que l'on peut regretter que leur carrière n'ait pas été plus longue avec ce « Why Do I Cry », excellent à tous points de vue. Les Barbarians eux aussi étaient sur Nuggets avec leur « tube » « Moulty », hymne à leur batteur au crochet. Là, c'est le 1er single (1964) « Hey Little Bird » qui les représentent fort justement. The Litter ne sont pas des inconnus au bataillon. Ce groupe de Minneapolis qui a 3 albums sous la ceinture, s'est rendu célèbre par son « Action Woman », et ses 2'30 de rage punk. Il figure ici avec la face B de son 1er single (1968), une reprise des Small Faces « Watcha Gonna Do About It ». Les Electras viennent du même état que The Litter, du Minnesotta, mais pas de la même ville, eux c'est Ely. Ils ont aussi en commun le producteur Warren Kendrick ce qui peut expliquer que leur son soit comparable à celui de The Litter. Toujours est-il que leur « Soul Searchin » vaut le détour. Autre groupe « connu » les Five Americans qui se sont fait un nom avec « Western Union » capturés ici en 1964 avec « I'm Feeling OK » qui l'est, OK. Plus intéressants, les new-yorkais de Third Bardoo connus par leur « Five Years Ahead Of My Time » (1967) repris par les suédois Nomads. Sundazed a choisi « Loose Your Mind » qui ne démérite pas. Enfin, cerise sur le gateau, We The People, groupe d'Orlando, capable de trousser des ballades psychédéliques plus que convaincantes et des rock tueurs tels ce « When I Arrive ». L'album se termine par la version « I'm A Man » de Bo Diddley exécutée sans faillir par les canadiens Ugly Duckings.
We The People - When I Arrive
Volume 3 – Feeling Zero
Ce troisième volume n'est pas le meilleur de la série. Il comporte néanmoins des perles telles que le « Mother Nature Father Earth » des Music Machine (1967) de Los Angeles, un groupe entré dans la légende grâce à sa tuerie « Talk Talk » et le look du groupe tout de cuir vêtu avec gants noirs. Cependant, il s'agit ici de la deuxième version du groupe, la Sean Bonniwell' Music Machine. On trouve aussi les Preachers avec 2 titres de 1965 : « Who do you love », » Stay Out Of My World ». On retiendra surtout leur version du classique de Bo Diddley, abordée à 300 à l'heure. Curieusement Sundazed a choisi de faire figurer la version écossaise des Great Scotts de « I'Aint No Miracle Worker » des Brogues. Compétente, sans plus. Le « Satisfaction Guaranteed » (1966) des Mourning Reign de San José Californie est autrement plus convaincant. Quant aux Brogues de San Francisco, précités, ils sont présents avec 2 titres dont « Don't Shoot Me Down » où les futurs Quicksilver Messenger Service Greg Elmore et Gary Duncan sont à leur avantage. Par contre, on affirmera que la version du « Smell Of Incense» du West Coast Pop Art Experimental Band des texans Southwest F.O.B est largement inférieure à la version originale.
Mourning Reign
Volume 4 – I' m In Need
Et de quatre ! Mais pas le meilleur de la série. Il y a quand même le « 1-2-5 » des canadiens The Haunted, un classique, le « Good Times » des Nobody's Children et son rire sardonique. Le reste est plutôt « average » comme le disent les anglais, comprendre piéton.
Nobody's Children : Good Times
Volume 5 – Reading Your Will
C'est une toute autre affaire avec le 5ème cd de la série. Il débute en fanfare avec « Story Of My Life » (1966) des Unrelated Segments de Detroit, Michigan. Une affaire rondement menée avec hurlements, basse ronflante, batterie primitive et guitare effilée comme un rasoir. Suit « I Can See » des Texans (Corpus Christi - 1966) Liberty Bell et son riff accrocheur martelé par l'orgue et la guitare sur lequel se greffe la voix du chanteur, une petite bombe nucléaire... Que dire du « It Happens Everyday » des Lemon Drops de Chicago ? Qu'il s'agit d'un grand groupe qui aurait mérité bien plus qu'une note en bas de page de l'histoire du rock ? Oui. Ils n'ont enregistré de leur vivant qu'un seul single « I Live In The Springtime » (1967), excellent folk-rock psychédélique et le titre présenté ici ne démérite pas. A noter que 3 albums post-mortem sont parus, à écouter de toute urgence. On retourne à Corpus Christi avec les Bad Seeds et leur « Taste Of The Same », bel effort à la Rolling Stones (1965). Les californiens Human Expression et leurs 2 titres « Readin' Your Will » et surtout « Optical Sound » ne sont pas sans rappeler le 13th Floor Elevators, ce qui n'est pas un mince compliment. Le Texas est encore à l'honneur avec les Zachary Thaks et leur Face to face (1967). Ils sont originaires de Corpus Christi comme les Bad Seeds. A noter que le chanteur Chris Gerniottis a 15 ans à l'époque, les autres 17 ans. Dommage qu'ils n'aient pas continué car ils étaient plus que prometteurs. The Nuchez avec « Open Your Mind » (1966 – Chicago) fait partie de ces inconnus qui auraient mérité plus qu'une carrière météorique. Même chose pour les Basement Wall et leur « Never Existed » (1968), il faut dire qu'avec un titre pareil (« Jamais existé »), c'est donner le bâton pour se faire battre. Normal, en fait, ils viennent de Baton Rouge, Louisiane. A noter aussi Plato & The Philosophers et leur « 13 O'Clock flight to philadelphia » (1966) . Platon et ses philosophes vient de Moberly, Missouri. Ces philosophes d'un genre particulier ont sévi de 1962 à 1970. On conclut ce cinquième volume avec une vraie petite merveille : le « Flash Back » des Silk Winged Alliance, groupe dont on ne sait rien ou presque sinon que leur unique single date de 1968.
Silk Winged Alliance - Flashback
Volume 6 – Speak Of The Devil
S'il n'est pas le meilleur de la série, ce 6ème volume ne dépare pas l'ensemble. On y retrouve tout d'abord We The People avec le raga-rock « In The Past » repris à l'époque par le Chocolat Watch Band. Toujours dans le raga-rock, The William Penn Fyve de San Mateo, Californie, et leur « Swami » (1966) gorgé de cithare et indianisant à souhait. A noter dans le groupe, un certain Greg Rollie, futur Santana. On reste en Californie avec The Vejtables et leur folk-rock à la Beau Brummels : « Feel The Music » (1966). Les Music Machine et Neal Ford font aussi une seconde apparition dans ce volume. Mais on retiendra plus particulièrement Roy Junior et son « Victim Of Circumstances » (1966), un effort psychédélique-punk tout à fait décent, sinon plus. A noter que l'auteur de cet unique single est le fils de de Roy Acuff, légende de la country. Pour terminer, on se rend à New York avec les intéressants Druid of Stonehenge et leur version, une de plus, de « Who Do You love ».
William Penn Five - Swami
Volume 7 – That's How It Will Be
Si vous n'êtes pas devenu sourd après ce torrent de fuzz, wah wah et larsens qui a pris à l'abordage vos oreilles, vous pouvez passez au 7ème cd. Celui-ci vaut surtout pour Human Expression et son « Love At Psychedelic Velocity » digne du « Levitation » du 13th Floor Elevators. Les Liberty Bell reviennent avec « That's How It Will Be », prototype du titre qui vous tue en moins de 3 minutes. Même chose avec la version du « I'm A King Bee » de Slim Harpo des Bad Seeds qui ne démérite pas face à celle des Rolling Stones. The Unrelated Segments avec « Where You Gonnna Go ? » et « Cry, Cry, Cry » confirment tout le bien que l'on pense de ce groupe qui, comme la majorité de ceux qui composent cette série de 7 cd, aurait pu rester connu des seuls initiés.
Unrelated Segments - Cry, Cry, Cry
Un puits sans fond
Dans l'ensemble cette série « Garage Beat' 66 » est tout à fait écoutable et recommandable. On notera cependant que de nombreux titres sont disponibles ailleurs sur d'autres compilations du même type. Celle-ci a cependant l'avantage d'une certaine unité stylistique et d'un son largement supérieur à de précédents efforts. Bien sur Sundazed aurait pu aller plus loin dans l'obscur et proposer des groupes inconnus au delà de leur rayon d'action immédiat. Mais d'autres s'en chargent et si vous vous orientez vers ce type de recherche, sachez que c'est un puits sans fond...