Ils auraient pu tout avoir, ils n'ont rien eu. Cinq musiciens exceptionnels, cinq voix, cinq talents. Un gâchis.

Moby Grape se forme fin 1966 à l'instigation de deux ex Jefferson Airplane, Skip Spence et Matthew Katz. Spence a été le batteur de l'Airplane sur leur 1er album tandis que Katz était leur manager. Katz voulait former un groupe rival de l'Airplane pour prendre sa revanche. Pour le guitariste Peter Lewis, Katz dès le départ a introduit le germe du conflit dans le groupe. Il ne voulait pas d'égalité entre ses membres, il voulait tout.

C'est Bob Mosley, le bassiste, qui a trouvé le nom du groupe d'après une plaisanterie : Qu'est-ce qui est gros, mauve et vit dans la mer ?", la réponse est une grappe d'énergie solaire. Arrivent le guitariste Jerry Miller et le batteur Don Stevenson, ex Frantics de Seattle, Peter Lewis, fils de l'actrice Loretta Young et ex membre des Cornells, un groupe de surf. Spence passe de la batterie à la guitare et Moby Grape est né.

On pourrait penser qu'il s'agit là d'un improbable attelage mais pourtant ça fonctionne et pas qu'un peu... Le dialogue entre les trois guitaristes qui se surpassent mutuellement, les harmonies vocales à la Beach Boys, Byrds, tout s'imbrique parfaitement. Selon Geoffrey Parr : "Aucun groupe de rock n'a jamais été capable d'utiliser efficacement trois guitares tel que Moby Grape l'a fait sur Moby Grape".

Moby Grape

Le premier album du groupe (1967) est une merveille avec des titres comme le magnifique "Omaha", les superbes "Hey Grandma", "8.05", "Fall On You", "le tourmenté "Bitter Wind", l'obsédante ballade "Naked If I Want To". Mais CBS qui sort l'album veut faire un coup marketing sort cinq singles différents issus de l'album et lance une campagne de publicité destinée à lancer le groupe. Cela s'avérera complètement contre productif. Un groupe qui est promu avec autant de force de frappe marketing ne peut être qu'un produit imposé par l'industrie du disque se dit le public hippie de l'époque. Ce public a tort mais le mal est fait même si l'album se vend bien. Un seul des cinq singles se classera dans le hit parade, à la 88ème place !

 

Bitter Wind

Monterey Pop

Pour ne rien arranger survient l'affaire du festival de Monterey Pop. Matthews Katz, le manager du groupe, demande aux organisateur du festival de verser un million de dollars pour avoir le droit filmer le groupe pour le documentaire sur le festival que tourne D.A Pennebaker. L'avidité de Katz fait tout capoter. Peter Lewis (ibid) : "au lieu de nous faire jouer le samedi soir avant Otis Redding, ils nous ont programmé le vendredi soir en fin d'après-midi alors qu'il n'y avait personne." De plus, le groupe ne figure pas dans le film...

Motorcycle Irene

L'album qui suit ce désastre, Wow/Grape Jam, n'est pas à la hauteur du premier bien qu'il se classe honorablement dans les charts. Il comprend deux classiques du groupe à écouter toutes affaires cessantes : "Murder In My Heart For The Judge", un rock à tout casser et la réponse du groupe au "Leader Of The Pack" des Shangri-La's, "Motorcycle Irene", qui se termine dans un fracas de tôles brisées. Ensuite vient le temps de la folie furieuse pour Skip Spence qui lors du séjour du groupe à New York commence à fréquenter des Hell's Angels, à prendre de l'héroïne, beaucoup d'acide et, un jour, tente de défoncer la porte de la chambre d'hôtel de Miller à coup de hache d'incendie. Spence va à la case prison puis à la case hôpital psychiatrique. A sa sortie, il enregistre à Nashville un album solo mythique Oar.

Motorcycle Irene

Où est l'argent ?

Les quatre membres restant continuent sans Spence, ils enregistrent trois albums entre 1968 et 1971 (Moby Grape' 69, Truly Fine Citizen, 20 Granite Creek avec Spence). Mais s'ils ont leurs moments, aucun de ces disques n'arrive à la cheville du 1er album. Il y aura bien sur des tentatives de reformation et un album enregistré sous le nom de Fine Wine pour tenter d'exister malgré les divers procès intentés par l'ex manager auquel Moby Grape avait commis l'erreur d'accorder les droits sur le nom du groupe. De ce fait, les ex-membres de Moby Grape n'ont touché aucune royalties sur les ventes de leur œuvre pendant près de 30 ans !

Une alchimie unique, un groupe unique, des occasions gâchées, l'histoire du rock est pleine de ces trajectoires brisées, de ces destins où la cupidité des managers, les drogues et l'incompétence des maisons de disques transforment un conte de fée en cauchemar. Cette histoire est aussi celle de Moby Grape